Cela peut arriver à n’importe qui. Vous vous êtes brûlé, vous courez aux urgences. Vous souffrez affreusement malgré les antalgiques. Vous hélez l’infirmière qui réagit de façon imprévue : elle vous demande si cela vous dirait d’appeler un coupeur de feu. «Un quoi ?» Elle vous tend une liste de numéros de téléphone et dit à voix basse : «Ça peut paraître bizarre, mais ils ont déjà soulagé quantité de patients. Rien d’officiel, mais nous vous garantissons que c’est sans danger.» La douleur est telle que vous n’hésitez pas longtemps avant de pianoter sur votre portable. Une voix vous demande juste votre nom. Vingt minutes plus tard, la souffrance a disparu.
Cette scène est devenue presque banale dans certains services hospitaliers, à Saint-Brieuc, Rodez, Annemasse ou Marseille, où l’on nous confirme – de façon en général officieuse – que l’on fait régulièrement appel aux «coupeurs (ou barreurs) de feu». Pour soulager la douleur, pour accélérer la cicatrisation des brûlures suite à un accident ou lors d’un traitement du cancer par radiothérapie.
Cette étrangeté n’est que la partie émergée d’un vaste ensemble. Contre toute attente, à l’ère scientifique, même dans notre très cartésienne France, médecins et guérisseurs (ou magnétiseurs, coupeurs de feu) collaborent de multiples façons. Pour traiter des urgences ou des troubles chroniques réputés inguérissables. Quels médecins osent en parler ? Rarement les pontes, dont la plupart ne sont d’ailleurs pas au courant. Patron des urgences à l’hôpital Nord de Marseille, le docteur Philippe Jean lève un sourcil perplexe : «Coupeur de feu ? Connais pas. Mais je vais demander à mes infirmières si elles en ont entendu parler.» Ces dernières lui répondront par l’affirmative… sans s’avancer davantage, le sujet est risqué. Même curiosité étonnée de la part de la cancérologue Laure Copel, à l’institut Curie. Chef du service d’oncologie médicale à l’hôpital européen Georges-Pompidou, à Paris, le professeur Jean-Marie Andrieu, lui, a déjà eu vent de ces «magnétiseurs censés vous retirer le feu». Mais il doute du sérieux de l’affaire : «Ça se saurait ! Dommage, je ne demanderais pas mieux, on a tant de complications en radiothérapie. Ramenez-moi un seul cas traité par vos magiciens et observé selon les critères scientifiques et on en reparle».
Le flirt entre système hospitalier et guérisseurs se joue davantage dans le monde des infirmières que dans celui des médecins. Discrètement informés, les chefs de clinique laissent souvent faire… à condition que l’on n’en sache rien. Toutefois, certains s’y intéressent, avec un mélange de perplexité et de fascination, et prennent le risque d’en parler.
Leur diagnostic, un vrai scanner
Ancien chef de clinique en cardiologie puis en médecine interne, devenu psychiatre, enseignant en psychothérapie à la faculté de Bordeaux, le professeur Gérard Ostermann a depuis longtemps repéré les facultés hors normes de certaines guérisseuses. «La première s’appelait Claudine. On la consultait discrètement à l’Institut de cancérologie de Reims, soit pour aider à déceler la source d’un mal qu’on ne parvenait pas à élucider, soit pour confirmer une hypothèse peu sûre. La pertinence de son ressenti était stupéfiante. Elle devenait moins fiable quand elle tentait d’intellectualiser la chose et se piquait de donner ses interprétations. Depuis, des guérisseurs, j’en ai connu plusieurs. Leur capacité à soigner toutes sortes de maux de façon “énergétique” est indéniable – des brûlures aux rhumatismes, des abcès aux calculs. Je reste fasciné par leur diagnostic, un vrai scanner, et par leur humilité : la majorité ne se fait pas payer. Les guérisseurs ne deviennent dangereux que lorsque leur ego enfle et qu’ils prétendent faire de la science. Globalement, ce qu’ils font bouleverse notre vision de la maladie, du corps, de la médecine, du réel… Tout est à revoir !»
Pour la plupart des médecins qui osent évoquer leur collaboration avec les guérisseurs, celle-ci se justifie de façon très pragmatique. Ainsi, le docteur Alain Marre, chef du service de radio-oncologie du centre hospitalier de Rodez (Aveyron) : «Voilà plus de trente ans que j’oriente mes patients vers des guérisseurs pour soulager les douleurs, sans a priori : j’ai juste constaté que cela améliorait leur état. Dois-je refuser sous prétexte qu’on ignore comment ça marche ?»
Ils palpent des flux invisibles
D’une dizaine d’interviews de guérisseurs se dégage un profil type. Rares sont ceux qui voient leur «don» se déclencher en cours de vie, telle Patricia Alleli, d’Aix-en-Provence, qui l’a découvert à 48 ans, après un accident cérébral. Généralement, ça commence très jeune. Dès l’âge de 4 ans, Jean-Luc Bartoli ne supporte pas de voir quelqu’un souffrir et pose compassionnellement ses mains sur lui. Au même âge, Brigitte, de Besançon, sauve des lapins mortellement malades de sa grand-mère : ceux sur le ventre desquels elle a posé les mains. A 5 ans, Corinne, de Marseille, fait du bien à tous ceux qu’elle touche, notamment l’une de ses tantes souffrant d’arthrose : très vite, le voisinage entier sait que ses mains soignent.
Pour Josette, de Montélimar, le phénomène a démarré à 2 ans. «Je croyais que tout le monde était comme ça : quand je pose ma main sur quelqu’un, je ressens de l’électricité. Et quand j’arrive sur une zone souffrante, ça me pique, comme si une pointe jaillissait. Si je laisse ma main un moment, la piqûre s’en va et la souffrance de la personne aussi. Aujourd’hui, j’ai 85 ans et j’en ai soigné, des gens ! Jamais je ne me suis fait payer : ce don me dépasse, impossible de le monnayer. Je ne crois pourtant pas au bon Dieu…» Vivant de sa pension de veuve de gendarme, elle précise : «Si vous voulez que je vous soigne, ne me dites pas ce que vous avez ! Ma tête doit rester au repos. Si elle se met à gamberger, je ne suis plus bonne à rien.»
Notre esprit rationnel a d’autant plus de mal à comprendre que les guérisseurs ne se contentent pas de poser leurs mains sur leurs patients. Ils palpent aussi des flux invisibles qu’ils semblent peigner, ou rassembler, ou recoudre, vous expliquant, comme Pierre
Yonas qui soigne l’équipe de handball de Savigny-sur-Orge : «J’ai senti une fuite d’énergie au niveau de l’omoplate d’un joueur, je l’ai colmatée». L’affaire se corse quand on découvre que beaucoup soignent aussi à distance, souvent en se concentrant sur une photo du patient, et parfois à l’insu de la personne souffrante, celle-ci pouvant être un bébé ou un animal. «Par exemple, mes chevaux, dit Michelle, que je soigne depuis des années, après avoir appris, non seulement à les toucher, mais à me mettre à l’intérieur d’eux, à leur place.»
Hypothèses d’explication
Les guérisseurs eux-mêmes reconnaissent ne pas savoir «comment ça marche». Beaucoup évoquent une grâce divine et quasiment tous insistent pour dire qu’ils ne servent que de catalyseur réveillant les capacités de guérison internes du patient. Nous interrogeons Brigitte Grimm-Laforest, présidente du Groupement national pour l’organisation des médecines alternatives (Gnoma) et vice-présidente du Syndicat national des magnétiseurs et praticiens des méthodes naturelles et traditionnelles (Snamap). «Notre vocation est d’abord de soigner, dit-elle. Des dizaines d’entre nous travaillent en France avec des médecins. Mais scientifiquement, nous sommes incapables d’expliquer notre efficacité. Aux chercheurs qui nous traitent de charlatans, nous renvoyons la balle : venez donc nous étudier et dites-nous pourquoi ça marche ! Après tout, c’est votre boulot, pas le nôtre.»
Les scientifiques étudiant ces pratiques ne sont pas légion : le sujet est tabou. Mais des recherches existent. Ces mains qui soignent, se dit-on, dégagent probablement un genre d’électromagnétisme dont on devrait pouvoir découvrir comment il guérit. Cela rejoindrait le courant de pensée selon lequel une médecine «quantique», fondée sur les rayonnements, devrait compléter au XXIe siècle la médecine «chimique», fondée sur les molécules. Mais avant cela, il y a l’explication «placebo» : l’influence des guérisseurs, surtout psychologique, reposerait sur la croyance et la confiance du patient.
A la question du « comment » les réponses des guérisseurs eux-mêmes sont divisées. Les uns pensent être traversés par une force «sacrée» que nulle science ne pourra jamais appréhender. Les autres affirment qu’il n’y a rien de magique dans ces phénomènes de libération énergétique et que la science médicale aurait tout intérêt à les étudier de près. Voyez-vous une troisième solution ?